Cannabis : importer le modèle californien dans nos quartiers

Si l’Etat décidait de légaliser la vente de cannabis, une régulation à la californienne pourrait servir de modèle pour les quartiers sensibles.

par Khalid Tinasti, Secrétaire exécutif de la Commission. Lire l’article original dans Les Echos.

La légalisation du cannabis en Californie  a bénéficié d’une large couverture médiatique, s’intéressant aux revenus fiscaux qui pourraient atteindre un milliard de dollars dans les prochaines années, pour un marché prévisionnel totalisant près de 5 milliards par an dès 2021.

Du côté de la régulation et de la restriction d’accès, seuls les majeurs – à partir de 21 ans – peuvent acheter des produits cannabiques, pour une quantité maximale de 28,5 grammes.

Surtout, les autorisations d’entrée sur le marché légal sont délivrées par les villes, laissant aux élus locaux toute latitude de permettre la vente légale du cannabis ou pas. Cette régulation californienne contient deux éléments très peu discutés, alors qu’ils peuvent servir de pistes de réflexion pour plus de justice sociale dans les quartiers de la politique de la ville en France.

Effacement des casiers judiciaires

Le premier élément est que la loi permet l’effacement des casiers judiciaires pour des délits mineurs commis entre le vote de la loi et sa mise en place. Cette disposition permet aux usagers dont le seul délit est une consommation personnelle – et non du « deal », de la production ou du trafic – de demander la levée de la sanction pénale.

En France, selon les derniers chiffres disponibles, la répression et la prévention liées aux stupéfiants ont coûté plus de 900 millions d’euros en 2011, dont le tiers concernait les interpellations. Plus encore, selon  les chiffres de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) de l’année 2015, plus de 60 % des inscriptions au casier judiciaire concernent la consommation – sur toutes les interpellations liées à cette consommation en 2010, 90 % concernaient le cannabis.

Dans notre pays, où 83 % des interpellations liées aux stupéfiants concernent la consommation personnelle et où le cannabis reste le produit phare, une telle régulation peut éventuellement permettre de désengorger les tribunaux et de réduire la charge de travail des forces de l’ordre. Ces dernières doivent toutefois redoubler de vigilance quant à la vente illicite aux mineurs en cas de régulation légale, 25,5 % des lycéens étant consommateurs en 2014 contre 14,5 % en Californie.

Priorité d’entrer sur le marché légal

Le second élément dont il est question, et qui est d’un intérêt tout particulier pour les quartiers sensibles, est la priorité aux personnes avec un casier judiciaire lié au cannabis d’entrer sur le marché légal. Ce dispositif est intéressant du point de vue de la justice sociale, car il permet à des jeunes gens opérant dans le marché illégal d’entrer dans la légalité et ainsi de mettre fin aux réseaux de trafic dits « de quartiers ».

Cette révolution en termes de politiques publiques  a été saisie au vol par la ville d’Oakland, municipalité pauvre aux portes de San Francisco et de la Sillicon Valley, qui abrite une majorité d’africains-américains et dont 23,7 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Pour plus d’équité sociale, ceux qui ont été condamnés pour des faits aujourd’hui rentrés dans la légalité auront un accès prioritaire aux autorisations d’ouverture de boutiques de vente directe.

Dans la même veine, plusieurs communes de la Seine-Saint-Denis, dont les délits et crimes liés aux stupéfiants sont de notoriété publique, connaissent des taux de pauvreté de plus de 35 % – une disposition du même ordre qu’à Oakland y aurait éventuellement un même impact positif.

Inclusion et redistribution

En France, le gouvernement s’est engagé dans une réforme de la procédure pénale afin de fluidifier le travail de la police et de la justice avec, entre autres,  l’introduction de la forfaitisation de la consommation du cannabis. Il vient aussi de se réengager en faveur de la politique de la ville malgré le peu de lisibilité de cette dernière en dehors de la rénovation urbaine.

Il serait donc opportun de suivre ici de près les développements futurs de la mise en place de la régulation du cannabis en Californie. Ce modèle est basé sur l’inclusion, la redistribution des ressources fiscales aux zones les plus durement touchées par la guerre aux drogues et l’accès prioritaire à ces nouveaux métiers pour des jeunes désocialisés.

Il serait bienvenu de voir à quel point il peut permettre de  renforcer les piliers de développement économique, de l’emploi et de la cohésion sociale de la politique de la ville, tout en rapportant davantage aux finances de l’Etat et des collectivités en taxes nouvelles.