Khalid Tinasti dans Les Échos: “Légalisation du cannabis au Luxembourg : quelles conséquences pour la France?”

Lire l’article original dans Les Échos.

LE CERCLE/POINT DE VUE – Le Grand-Duché envisage de dépénaliser la production et l’usage récréatif du cannabis. Dans cette hypothèse, la France sera contrainte de s’adapter.

A la suite des élections législatives du mois d’octobre au Luxembourg, la coalition du centre menée par le Premier ministre sortant Xavier Bettel a annoncé une nouvelle législation sur le cannabis dans son programme de gouvernement pour les cinq ans à venir. L’accord de coalition prévoit de dépénaliser l’usage du cannabis, ainsi que de légaliser sa production nationale et sa vente sous conditions.

Le Luxembourg pourrait ainsi devenir le premier pays européen à légaliser une drogue illicite, et plus précisément le cannabis, substance la plus consommée en Europe avec une estimation de trois millions d’usagers quotidiens dans l’Union. Le Luxembourg rejoindrait ainsi l’Uruguay, le Canada et, bientôt, le Mexique, pays qui changent de paradigme et mettent fin à la prohibition du cannabis comme modèle de contrôle.

Deux approches

Le gouvernement du Luxembourg prend également, une position radicalement différente de celle du gouvernement français. L’Assemblée nationale a adopté, le 23 novembre, l’amende forfaitaire délictuelle de 200 euros pour usage de drogues. Le but poursuivi, selon les autorités, est la réduction de la demande de cette substance très utilisée par les Français. Même avec des données très partielles, basées sur le nombre des personnes interpellées ou qui ont recours aux services de santé, le nombre de consommateurs quotidiens en France s’élève à 700.000 personnes.

Ces deux approches, l’une basée sur le contrôle du marché par une régulation légale qui protège les consommateurs, l’autre basée sur la punition de ces mêmes consommateurs, montrent à une échelle régionale la polarisation qui prend corps dans le monde, et dessine l’avenir des politiques antidrogue.

D’un côté, un engagement renouvelé en faveur de la prohibition, malgré son échec à réduire la présence et l’usage récréatif des drogues partout dans le monde ; de l’autre, la régulation légale dans laquelle l’Etat contrôle l’accès à la substance, en veillant sur l’âge légal, les points de vente et de consommation, et la composition des produits.

Effet ballon gonflable

Plus encore, la légalisation du cannabis au Luxembourg aura des conséquences pour les pays voisins. La nouvelle approche luxembourgeoise, si elle aboutit, changera le marché illégal européen, ses routes de trafic, la qualité du cannabis disponible, et jouera un rôle sur le prix de vente dans ces mêmes pays voisins.

Ainsi, même si la légalisation luxembourgeoise ne concernera que le territoire national, la vente réservée exclusivement aux adultes résidants du pays, et la production légale ayant lieu sur le territoire national, la situation du côté français sera impactée. Cette disruption déplacera certainement aussi une partie du marché illégal vers les pays voisins avec un effet de ballon gonflable. Lorsque le marché se tarit dans un territoire géographique, il se déplace vers des territoires plus accueillants, comme l’air compressé dans un côté d’un ballon réapparaît de l’autre.

Les problèmes sociaux et sanitaires qui l’accompagnent suivront, surtout dans les zones frontalières. L’exposition des populations frontalières au cannabis, le trafic dans ces zones, l’activité policière contre les stupéfiants, ainsi que la prévalence d’usage pourront augmenter statistiquement, ainsi que leurs conséquences négatives sur la justice sociale, sur l’incarcération ou sur la santé publique.

La légalisation, suivie de la régulation des drogues illégales est une réalité qui se met en place dans différentes parties du monde, et l’Europe ne fait pas exception. Le choix pour le législateur, dès lors, est de se préparer à l’arrivée de ces nouvelles formes de politiques publiques même en y étant opposé, ou de laisser faire et de devoir subir les conséquences à moyen et long termes.

Pour un débat national

La France, un des derniers pays en Europe avec si peu d’appétit pour un débat national sur l’efficacité de l’approche prohibitive contre les drogues, se verrait ainsi contrainte d’adapter ses politiques publiques pour résorber des problèmes supplémentaires et rattraper ses voisins.

Ce débat devient encore plus urgent et essentiel quand on prend en compte l’avancement des travaux de villes suisses frontalières à la France, telles que Genève ou Bâle, sur leurs propres modèles urbains de légalisation du cannabis. Savoir si nos autorités décideront de prendre les devants ou délaisseront le sujet jusqu’à ce que les méfaits soient visibles est une question qui est aujourd’hui sans réponse.