Surpopulation carcérale: Des pistes de réforme

Par Khalid Tinasti, Secrétaire exécutif de la Commission globale de politique en matière de drogues. Lire l’article original dans L’Economiste.

EN janvier, l’observatoire marocain des prisons a publié son rapport 2015-2016 sur l’état de nos prisons, dans lequel les chercheurs de ce centre indépendant nous ont livré une image dégradante et dégradée de nos centres pénitentiaires, sans grande surprise ni différence marquante avec son rapport biannuel précédent. Au même moment, le sociologue français Didier Fassin a publié ses recherches concernant la passion contemporaine de la punition, caractérisée par une augmentation constante des incarcérations dans le monde, et qui peut être transposée au Maroc.

Alors que les incarcérations sont en constante progression dans notre pays, et qu’en même temps le nombre de crimes est en recul, la question qui se pose est de comprendre notre lien et notre conception de la punition: notre société est-elle dépendante aux châtiments? Une punition est-elle la seule repentance acceptable à nos yeux? Dans notre contexte régional, les enjeux sécuritaires ne sont pas à prendre à la légère, et il ne s’agit pas ici de traiter des crimes contre la sûreté de l’Etat et des citoyens, mais des délits et crimes de nature non violente ou mineure. Il s’agit de discuter plutôt de l’efficacité des politiques publiques, qui doit primer sur le besoin de démonstration de l’autorité publique exercée par des mesures répressives de plus en plus dures, et de comprendre le lien entre le délit et sa punition appropriée et proportionnelle.

Les crimes et délits sont en baisse constante au Maroc, selon les chiffres présentés par le ministre de l’Intérieur, lequel a détaillé en 2014 les baisses d’homicides, de vols de tous genres et autres coups et blessures. Toutefois, un des exemples les plus marquants de notre perception de la punition et de sa place dans la société est la manière dont nous faisons face aux drogues illicites. Les crimes et délits y afférant ne baissent pas, et représentent selon les derniers chiffres communiqués par la Direction générale de la sûreté nationale près de 20% des interpellations effectuées en 2015 et 2016. Ce qui est dérangeant dans ce chiffre est la proportion importante de personnes arrêtées pour simple usage, un acte qui en soi ne représente aucun danger pour les autres, et peut de manière isolée créer des méfaits sanitaires à la personne usagère elle-même.  De là naît le questionnement de la punition pour l’usage des drogues, et le débat très contemporain de sa dépénalisation afin de réduire les méfaits liés aux drogues et aux politiques répressives qui les accompagnent traditionnellement.

Pour sortir de cette logique de surpopulation carcérale, de discrimination institutionnelle et d’inefficacité quant à la réduction du trafic et de l’usage, plusieurs pays du sud dépénalisent l’usage des drogues, qu’il s’agisse de la Colombie, du Ghana ou de la Jamaïque, alors que d’autres mettent en place des alternatives à l’emprisonnement, tels que le Sénégal qui réfléchit à remplacer l’emprisonnement par des travaux d’intérêt général. L’Equateur est allé encore plus loin en réduisant les peines et en amnistiant les cultivateurs et les passeurs de drogues, permettant ainsi la libération de plus de 4.000 détenus. Notre pays, pourtant premier producteur mondial de cannabis et consommateur de psychotropes et autres stupéfiants, n’ouvre toujours le débat ni sur l’efficacité de ses politiques publiques antidrogues, ni sur les conséquences dramatiques de l’emprisonnement sur ses jeunes forces vives.

Un champion du développement social en Afrique

surpopulation_carcerale_078.jpg

 La réforme de la politique pénale reste un tabou, au moment même où les punitions dures et disproportionnées sont devenues les seuls instruments d’application des lois, et au-delà ceux de la mise en place de normes morales sans lien avec la réalité ou les circonstances des délits qu’elles punissent  (Les visages ont été modifiés – Ph. L’Economiste)

Plus important encore, notre pays est aux avant-postes des réformes publiques pour plus de justice sociale. Ainsi, nos autorités ont introduit la couverture sanitaire universelle, l’initiative nationale pour le développement humain et des programmes de logements sociaux ambitieux. Ces programmes ont eu un effet spectaculaire sur l’amélioration de la vie des gens, ont fait du Maroc un champion du développement social en Afrique et un modèle pour le développement intégré des pays du sud. Toutefois, la réforme de la politique pénale reste un tabou, au moment même où les punitions dures et disproportionnées sont devenues les seuls instruments d’application des lois, et au-delà ceux de la mise en place de normes morales sans lien avec la réalité ou les circonstances des délits qu’elles punissent.

Pour éviter l’impasse qui se profile entre la dualité d’une politique de main tendue et des mesures répressives, cette contradiction constante entre une des meilleures offres de réduction des risques dans notre région et une politique pénale punitive, il faut innover. L’emprisonnement pour des délits mineurs tels que la consommation de drogues produit plus de problèmes que de solutions. L’impact direct sur les familles et les quartiers les plus défavorisés installe l’inégalité et la défiance de toute une partie de la population, défiance née du manque de légitimité de punitions souvent arbitraires et perçues comme telles. La politique répressive contre les populations vulnérables renforce la criminalité, en faisant de simples citoyens ayant traversé la douloureuse expérience de la prison des personnes désocialisées et aptes à la récidive.

Pour réformer, il suffit de changer deux paradigmes. Le premier est de s’éloigner, comme société, des idées d’élimination de comportements et d’actes simplement humains que nous transformons en actes criminels pour des raisons morales, et de plutôt apprendre à les gérer et à en minimiser les méfaits. Le second est de rendre les sanctions et les punitions proportionnelles aux actes à sanctionner. Ceci permettra à la prison de jouer son rôle d’isolement des détenus les plus dangereux, de permettre de les réhabiliter et de concentrer les efforts sur leur réintégration sociale, et d’éloigner du système judiciaire les citoyens qui n’ont pas à y être confrontés, parmi lesquels les personnes usagères de drogues.