Maroc : la prohibition du cannabis en question

Lire l’original sur Jeune Afrique
Transformer le rôle de l’UE dans le contrôle du cannabis au Maroc

L’Europe a joué un rôle déterminant, depuis 1906, dans le contrôle du cannabis au Maroc. Il s’agissait dans un premier temps d’exploiter cette ressource légalement ; puis de la prohiber dans le cadre de la lutte contre l’addiction qui se développait en Europe au début du 20ème siècle.

Le tabac et le « kif » (traduction du mot cannabis en arabe marocain) ont été exportés par la Régie publique créée par la France à cet effet en 1912 dans la zone internationale de Tanger, non loin des montagnes du Rif. La vente, la consommation et la puissance du cannabis marocain ne semblaient poser que peu de problèmes à cette époque, que ce soit sur le plan social ou celui de la santé.

Au début des années 30, la France a décidé d’interdire la production de cannabis hors des fermes liées à la Régie (autour de Marrakech, par exemple). La production dans le Rif est restée autorisée par les autorités espagnoles, et le choix des consommateurs locaux se portait sur le cannabis rifain. Ainsi, trois marchés sont nés : celui du cannabis traditionnel fumé par les Berbères ; du cannabis légal produit et vendu par la France ; et du cannabis illégal produit dans la zone sous contrôle espagnol puis introduit en contrebande.

La prohibition a entraîné, de fait, une confusion générale des politiques publiques. L’arrivée des cultures hippies et avec elles de nouvelles techniques de production et une nouvelle clientèle dans les années 60 ; l’apparition du VIH et son influence sur l’architecture sanitaire globale dans les années 80 ; la mondialisation et son impact sur le contrôle territorial dans les années 90 ont achevé de compliquer la donne.

L’action des autorités marocaines s’est concentrée sur la substance avec pour objectif l’éradication à tout prix. Cette politique, menée avec le soutien de l’UE et ses états membres, a eu pour résultat des nœuds structurels et multiples, dans une sorte de millefeuille de problématiques sociales, économiques et culturelles que la répression ne cesse de renforcer.

Quel bilan tirer de ces décennies de répression ? La production du cannabis, sa consommation, le trafic entre le Maroc et l’Espagne, et les retombées sous forme de violence et de sur incarcération prolifèrent, à l’abri de toute disruption en raison de la camisole imposée aux autorités par le régime international de contrôle des drogues et les voisins européens du Maroc.

Aujourd’hui, l’Europe, à l’instar de l’Amérique du Nord, s’engage sur un chemin raisonnable de décriminalisation de la consommation et de la possession de petites quantités de cannabis. De sa main droite, elle renonce donc à l’incarcération de masse et à son cortège de misères. Mais de la main gauche, elle continue à soutenir financièrement et politiquement la prohibition en dehors de ses frontières. Des pays moteurs de l’UE changent radicalement de paradigme et se tournent vers la légalisation comme nouvelle politique de contrôle du cannabis. C’est le cas au Luxembourg, et des débats sérieux sont en cours en Allemagne et au Pays-Bas, entre autres.

L’UE a apporté à ses voisins une aspiration démocratique, un désir de prospérité et de sécurité, et a surtout assuré le respect universel des droits fondamentaux, en montrant la voie de politiques publiques saines, inclusives des citoyens, et respectueuses de leurs choix et libertés personnelles. Concernant la politique de contrôle du cannabis, les pays européens changent de position, et sont parmi les moins répressifs, en comparaison mondiale.

Le Maroc, plus grand producteur mondial de cannabis selon les données collectées, ne peut plus se soustraire aux contradictions de la prohibition. La monoculture du cannabis définit la vie politique et économique de plusieurs parties du Rif. Combiné à l’accélération mondiale de la légalisation de cette même substance, notamment en Europe, cet état de fait nécessite la mise en place d’une nouvelle politique publique de contrôle du cannabis. Quelle que soit cette politique –tant qu’elle est appliquée sur son territoire national, sur la base de critères solides et d’une évaluation continue, le Maroc doit pouvoir compter sur le soutien de ses voisins européens.

L’UE ne pourrait que souscrire à ce que le pays protège les intérêts sociaux et économiques des paysans du Rif, ainsi que la santé et le bien-être de ses populations.

Khalid Tinasti