Lien vers la tribune des Echos intitulée “Quand le Covid-19 dope l’industrie du cannabis légal”.
La vente de cannabis légal a explosé dans certains Etats américains et au Canada depuis la crise du coronavirus. C’est probablement le signe d’une plus forte acceptation sociale, suppose Khalid Tinasti. La France pourrait en tirer certains enseignements.
Avant la crise du coronavirus, l’industrie ‘nouvelle’ du cannabis récréatif au Canada et dans nombre d’États américains continuait sa décote boursière remettant en cause les modèles commerciaux des entreprises du cannabis. Ces modèles basés sur la capitalisation, misant sur le potentiel du marché médical et surtout récréatif sans réelle connaissance de l’étendue de ce dernier, et négligeant la profitabilité des entreprises ont coûté leurs postes de travail à des milliers d’employés de cette industrie. Ces sous-performances d’entreprises cotées ont aussi causé une succession de départs de leurs dirigeants, souvent fondateurs. Ces difficultés peuvent se résumer par un départ en fanfare suite à la légalisation récente d’un marché dont le potentiel est difficile à mesurer, tant les clients ont appris à dissimuler leurs habitudes de consommation, principalement de peur de la répression policière et judiciaire ou de stigmatisation sociale ; et bénéficient de filières d’approvisionnement illégales performantes.
Cette quête de la profitabilité des entreprises du cannabis légal, exigée par les investisseurs et les marchés boursiers, a connu un essor inattendu avec la crise du coronavirus et des règles de confinement en place dans différents états américains et au Canada. Souffrant de coûts de production élevés sous serres, de surproduction, d’une diversification peu rentable de produits cannabiques, ainsi que de régulations strictes et d’impôts et taxes spécifiques élevés, ces entreprises en restructuration stratégique ont bénéficié d’une demande accrue de leurs produits depuis l’annonce du confinement.
Ainsi, les trente-trois états américains avec des dispensaires légaux, médicaux ou récréatifs, ainsi que les provinces canadiennes ont défini les premiers ou les deux comme essentiels donc devant rester ouverts pendant le confinement des populations, et désigné leurs employés comme « employés essentiels d’infrastructures critiques » (Essential Critical Infrastructure Workers). Certaines villes dont les maires refusaient de garder les dispensaires ouverts, par respect de la distanciation nécessaire en ces temps de pandémie incontrôlée, se sont vus obligé de revenir sur leurs décisions, comme ce fut le cas à Denver dans le Colorado après que des queues se soient formées autour des dispensaires avant la fermeture prononcée, et que les ventes aient augmenté de 120% en une journée durant le week-end du 21 mars. D’autres états encore, comme le Massachussetts où seuls les dispensaires médicaux sont ouverts, font face à une crise certaine pour leurs entreprises locales, le marché médical ne rapportant pas de revenus significatifs.
Cet engouement des populations pour cette substance s’est traduit par une augmentation des ventes légales d’environ 20% au début de la crise du coronavirus, et jusqu’à 40% en Californie. Il ne s’agit pas seulement d’augmentation des ventes pour des conditions médicales établies ou basées sur des prescriptions, mais bien d’une acceptation sociale plus répandue de l’usage « bien-être » du cannabis, pour faire face aux troubles anxieux de la pandémie, entre autres raisons avancées. Il s’agit également de la capacité renouvelée de ces entreprises de recruter pour faire face à ces nouvelles commandes, au moment où 26 millions d’Américains ont pointé au chômage à cause de la crise du coronavirus.
S’il reste difficile de prévoir comment la crise actuelle aidera ces entreprises à résoudre les problèmes structurels de l’industrie du cannabis récréatif, la classification des dispensaires de cannabis médical et récréatif comme commerces essentiels au bien-être des populations pendant le confinement marque le changement de culture s’opérant aux États-Unis vis-à-vis du cannabis. Le pays a prohibé la substance dans les années 1930 au niveau fédéral, et a porté la guerre aux drogues et au cannabis – substance concernant 69% des consommateurs de drogues dans le monde – mondialement depuis 1971.
Miser sur le tarissement de la demande ou de l’offre du cannabis serait ignorer que le marché des drogues illégales est un des plus innovants et des plus résilients de l’économie mondiale. Selon ce que l’ONU a appelé « l’effet ballon », le tarissement d’une source de production ou de consommation déplace simplement la production et consommation géographiquement, sans les diminuer.
Somme toute, cette expérience du cannabis légal en Amérique du nord, avec une industrie capitalisée sur la base d’un marché récréatif aux estimations variables et avec des entreprises expérimentées dans la production de cannabis médical, avec ses erreurs mais également ses opportunités, reste une opportunité pour la France. Ainsi, cette expérience commerciale d’une ‘vieille’ consommation bénéficiant d’un ‘nouveau’ marché légal permettra la collecte de données et d’évaluations qui serviront la réflexion de la mission d’information commune des commissions de l’Assemblée nationale sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Ces données et conclusions peuvent surtout soutenir les députés dans leur recherche du meilleur modèle de contrôle du cannabis pour notre pays, tant que ce modèle est pragmatique quant à l’existence même de la demande (la France étant une championne de la consommation avec respectivement 11% et 7% d’adultes et d’adolescents consommateurs réguliers), et retire le marché du cannabis des mains des criminels (avec un chiffre d’affaires estimé entre 2 et 3 milliards d’euros par an).