Reclassification internationale du cannabis médical: implications pour le Maroc

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Mercredi 2 décembre, cinquante-trois pays –membres de la Commission des stupéfiants des Nations unies- ont voté pour re-classifier (et non déclassifier) le cannabis dans les tableaux de contrôle internationaux. Il s’agit de voter, sur la base de recommandations scientifiques, pour une meilleure utilisation de la plante dans les préparations médicales et de ces ingrédients non-psychoactifs dans les filières médicales (cannabidiols – CBD).

Le Maroc est un des pays qui ont voté, et les représentants de notre diplomatie ont embrassé la science, le pragmatisme et le réalisme, comme nous allons y revenir plus tard.

Mais d’abord, ce système ultra-technique de mise en place de tableaux selon la dangerosité des substances –et dont il a déjà été question dans ces colonnes, définie les ripostes légales à ces drogues : ce sont les tableaux qui déterminent les processus d’import, d’export et de production pour le système médical ; l’attitude des forces de l’ordre et de la justice vis-à-vis d’une substance ; ainsi que celle des législateurs nationaux qui durcissent ou allègent les contrôles.

Ce système peut être vulgarisé ainsi : une substance comme la morphine, classée dans le tableau I, doit faire l’objet d’une demande d’import motivée de la part de notre pays, qui quantifie nos besoins selon la démographie, les besoins hospitaliers et l’âge de notre population. Cette demande doit être approuvée par l’Organe international de contrôle des stupéfiants basé à Vienne, avant que notre pays puisse en commander à un pays producteur.

Vu la lourdeur administrative et son impact direct sur le manque d’antidouleurs légitimes dans le système sanitaire du pays, la question qui se pose toutefois est non celle de savoir si ce système de classification protège du détournement de ces substances vers le marché illégal, mais si sa base de classification idéologique et non scientifique est ce qui le rend inefficace. Et c’est là que le cannabis joue un rôle disruptif.

Le cannabis est une substance qui a été classée avec la coca et l’opium, dès 1935, dans le tableau des substances les plus dangereuses. En 1961, il a été ajouté au tableau IV, celui qui ne reconnait aucune valeur thérapeutique aux substances. En 2020, des pays sur chaque continent (Australie, Thaïlande, Allemagne, Afrique du Sud et Brésil, pour ne citer que ceux-ci) ont des programmes légaux de cannabis médical, donc en contradiction avec la loi internationale jusqu’à l’entrée en force des changements voté mercredi 2 décembre dans les semaines qui viennent. Ces programmes médicaux vont du traitement de l’épilepsie à la sclérose, avec la substance en huile, en galénique ou en plante, et avec divers taux d’ingrédients actifs.

C’est pour mettre fin à cette incohérence dans le champ médical uniquement, qui concerne la substance illégale la plus consommée dans le monde et dont le statut national change dans de plus en plus de juridictions, passant de l’illégalité à la légalité, que ce vote à l’ONU a lieu. Il s’agit ici, et c’est important de le répéter, de revoir le statut du cannabis, dans une discussion technique, afin d’harmoniser et faciliter les programmes médicaux.

Les pays et les groupes de pression opposés à toute réforme ont réussi à faire croire au public et à la population générale que ce vote serait celui de la libéralisation récréative du cannabis. Selon eux, ce serait la fin de la prohibition mondiale du cannabis. En réalité, il s’agit de changements mineurs qui n’affectent en aucun cas la souveraineté des états à les outrepasser, et qui concernent des cadres nationaux stricts donc sans impacts sur les pays voisins.

Ces changements concernaient principalement : i) la sortie du cannabis du tableau IV afin de développer la recherche sur les usages médicaux qui a donc été approuvée, et ii) la sortie du CBD (avec moins de 0.2% de THC) du champ de contrôle des conventions sur les drogues, afin de développer une industrie médicale avec les produits cannabiques non-stupéfiants.

Pour le Maroc, la fin du reniement mondial de la valeur thérapeutique du cannabis ne change absolument rien. Le Maroc peut avancer comme beaucoup d’autres pays (de la France au Ghana au Liban) dans le développement des filières médicales pour diverses maladies. Au mieux, ce changement rend la réalité du terrain cohérente avec la lettre du droit international.

 

Le vote du Maroc et un groupe africain divisé :

Le vote du Maroc est porteur d’un message d’espoir pour notre avenir. Dans une discussion totalement clivée, entre des pays refusant toute discussion sur le cannabis et estimant que toute tentative d’utilisation de la substance revient à sa banalisation ; et des pays qui souhaitent toujours interdire l’usage récréatif mais arrêter l’hystérie collective autour de cette plante, le Maroc a voté avec les pragmatiques. Le vote du Maroc a été en ligne avec l’UE, la Suisse, l’Australie et les Etats-Unis, et contre le bloc constitué par la Russie, le Pakistan, le Brésil et la Chine, notre ancien camp « naturel » des anti-cannabis primaires. A relever également, que parmi les onze pays africains à voter, seuls le Maroc et l’Afrique du Sud ont voté avec le camp pragmatique. Ainsi, du Burkina Faso à l’Algérie, de l’Egypte au Kenya, et de la Côte d’Ivoire à la Libye, les pays africains ont massivement voté contre.

 

La position réaliste et pragmatique du Maroc au niveau multilatéral –qui plus est sur le cannabis, sujet d’attaque favori des adversaires géopolitiques du pays– est une mauvaise nouvelle pour beaucoup de monde : les groupes criminels de tous bords et ceux qui bénéficient légalement et illégalement de leurs activités. Il est une excellente nouvelle pour tout autant de monde : les cultivateurs du Nord, les patients potentiels et les malades en attente de thérapies efficaces, la filière pharmaceutique nationale, les institutions légales du pays, la police, les services pénitentiaires et la justice ainsi que le système de santé.

Notre pays a su montrer qu’il est du camp du pragmatisme et de l’avenir, et qu’il a le désir de dépasser l’idéologie afin d’aborder ses problématiques internes sérieusement. Il se place ainsi dans le rôle pays moteur dans les réformes régionales.