Commissioners Clegg and Kazatchkine in Science et Avenir: “Lutte contre les drogues : “‘L’approche prohibitive ne protège pas nos enfants’, affirme Nick Clegg”

War against drugs: “Repressive drug policies do not protect our children”, says Nick Clegg.

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Lutte contre les drogues : “L’approche prohibitive ne protège pas nos enfants”, affirme Nick Clegg

L’ex-vice Premier ministre du Royaume-Uni Nicholas Clegg est membre de la Commission mondiale sur les politiques des drogues. A Toulouse pour l’ESOF 2018, il a expliqué que “drogues, crimes et modes d’incarcération, problèmes de santé mentale” sont des peurs qui paralysent les politiques.

Nick Clegg

L’ex-vice Premier ministre du Royaume-Uni Nick Clegg.

© DOMINIQUE LEGLU

“Sortez donc des laboratoires ! C’est une responsabilité sociale que vous avez là”. D’une voix calme mais énergique, résonnant dans le grand palais des Sports de Toulouse, Michel Kazatchkine, médecin et diplomate, a ainsi exhorté les scientifiques à “s’engager dans tous les débats à tous les niveaux” concernant les drogues. Rappelant au passage qu’on évoque là une “économie à 350 milliards de dollars par an”. Ce 11 juillet 2018, à l’occasion du Forum ESOF2018 (Euroscience Open Forum), Nicholas Clegg, également membre de la Commission mondiale sur les politiques des drogues (1) est venu le rejoindre à la tribune.

“Une régulation pour protéger les faibles et poursuivre les criminels”

L’ex-vice Premier ministre du Royaume-Uni, libéral-démocrate qui “ne pense pas revenir en politique”, a-t-il affirmé à Sciences et Avenir, n’a pas non plus mâché ses mots. Des politiques menées actuellement en Europe sur le sujet , il juge qu’elles sont “profondément irrationnelles”. Avec ce constat alarmant : “L’approche actuelle de prohibition aboutit seulement à renforcer la grande criminalité”. Alors qu’elles devraient se fonder sur des faits (” evidence-based policies “), ces politiques sont dictées par “la peur”, estime l’ancien dirigeant.

“Drogues, crimes et modes d’incarcération, problèmes de santé mentale”, telles sont les peurs qui paralysent les politiques, explique Nick Clegg. En coulisses, dans “les discussions en privé avec [mes] collègues du gouvernement”, ces derniers affirmaient “ne rien pouvoir faire. Cela alarmerait les électeurs”. Faudrait-il alors que les scientifiques mènent encore plus de recherches, encore plus approfondies, “pour apporter encore plus de preuves que ce qui se fait aujourd’hui aggrave la situation plutôt que l’inverse” ? Pas facile. Outre que le domaine de recherches en question “n’est pas très tendance”, a rappelé un auditeur scientifique du forum, qu’on s’y heurte à des “tabous” (2) qu’on croirait d’un autre âge, le cadre des juridictions internationales actuelles ainsi que certaines lois de bioéthique ne facilitent rien.

“Nous étions en pointe sur le domaine, maintenant l’Amérique nous précède”, constate Michel Kazatchkine, selon qui il faudra que soient poursuivies et amplifiées les études sur les effets de la décriminalisation du cannabis (plusieurs états des Etats-Unis, Canada), comme on commence à en voir apparaître (3). Et de citer par ailleurs l’exemple de la Suisse, qui “n’est pas le moins conservateur des états mais a promu une législation des plus progressistes”. C’est après un “long processus de dialogue entre les scientifiques, les responsables politiques et la population”, qu’a fini par être réellement comprise, par exemple, l’utilité des substituts à l’héroïne.

“A la population, jusque dans des petits villages, on leur a dit la vérité”. Et cette vérité donne le vertige : trois-quarts des usagers de drogues, qui se cachent pour éviter les arrestations – 1,4 million d’arrestations en Europe, dont 82 % pour usage de drogue, selon Michel Kazatchkine – n’ont pas accès aux médicaments. D’où le maintien de certaines maladies à des niveaux élevés : “1 personne sur 3 est atteinte du sida, 1 sur 4 de tuberculose, 2 sur 3 d’hépatite C”. L’appel aux preuves, aux arguments rationnels, fera-t-il mouche ?

Pour Nick Clegg, “si on veut transformer cette industrie de la criminalité, il faut un marché réglementé. Cela ne donnera pas seulement plus d’impôts pour les gouvernements mais cette régulation permettra de protéger les faibles et de poursuivre les criminels”. On doute cependant que cette voix de la raison soit entendue en France, pays particulièrement conservateur en la matière. Ou que les actuels responsables politiques décident d’aborder un débat aussi clivant. Aux chercheurs, des biologistes aux sociologues qui savent les dimensions du problème, on ne peut que souhaiter bien du courage !

1) La Commission mondiale sur la politique des drogues est un organe indépendant composé de 24 membres, dont douze anciens chefs de gouvernement, un ancien secrétaire générale des Nations-Unies et trois prix Nobel. Son objectif est de proposer une discussion informée et basée sur les preuves au niveau international sur les moyens humains et efficaces de réduire les dommages causés par les drogues et es politiques de lutte contre les drogues aux individus et aux sociétés.

2) A été cité ce cas récent en Irlande du Nord d’un enfant épileptique dont la vie a été mise en danger par la saisie de cannabis nécessaire à la disparition de ses crises, ce qui a fait les gros titres de la presse britannique.

3) Cannabis Decriminalization : A Study of Recent Policy Change in Five U.S. States.